Trop longtemps considérée comme un simple ramassis de bactéries qui nous aidaient plus ou moins à assimiler les nutriments, la flore intestinale était largement sous-estimée. Aujourd’hui, elle se déflore, laissant apparaître bien des promesses…
Notre intestin accueille pas moins de 100.000 milliards de bactéries (soit 7 à 10 fois plus que le nombre de cellules humaines), qui pèsent à elles seules 2kg (plus que notre cerveau) ! Ce microbiote est propre à chaque personne, qui va le « façonner » au fil du temps, en fonction de son alimentation et de son environnement.
En construction dès la naissance
« En théorie, l’intestin est stérile à la naissance. Cependant, dès les premières heures de la vie, il est très vite colonisé par une série de bactéries qui vont constituer la flore intestinale, appelée microbiote intestinal. La technique d’accouchement est déterminante: par voie basse, le bébé sera en contact avec la flore vaginale et fécale de la mère lors de l’expulsion; par contre, lorsqu’il est extrait par césarienne, il ne sera pas mis en contact avec certaines bactéries bénéfiques comme les bifidobactéries de la mère. Cependant, après quelques jours, le microbiote de l’enfant né par césarienne sera relativement comparable à celui né par voie basse. Cela est probablement dû au fait que l’alimentation (au sein ou, de plus en plus, au biberon) est enrichie en prébiotiques et probiotiques, notamment en bifidobactéries », explique le Pr Patrice D. Cani, chercheur au Louvain Drug Research Institute de l’UCL. « L’alimentation au sein est naturellement riche en prébiotiques et probiotiques, ainsi qu’en graisses, sucres, vitamines… Et au moment de la diversification, les aliments consommés vont influencer les bactéries qui vont coloniser ses intestins, avec notamment une diminution des bifidobactéries, ou encore des lactobacilles par rapport au microbiote façonné par le lait maternel… De façon imagée, nous pourrions dire que plus l’alimentation est diversifiée, plus le microbiote sera également varié. »
Une barrière trop poreuse
Et cette variation est tout bénéfice. En effet, depuis quelques années, les chercheurs s’intéressent à l’influence de ce microbiote sur notre santé. Et pas uniquement sur notre santé intestinale ! « Que l’on prenne la polyarthrite rhumatoïde, les maladies cardiovasculaires, les maladies inflammatoires des intestins, le diabète… leur point commun est la présence de phénomènes inflammatoires à différents niveaux. Je pense que la fonction de barrière intestinale est primordiale. Si l’intestin est une passoire, les lipopolysaccharide (LPS) provenant de certaines espèces de bactéries et qui sont à l’origine de réponses inflammatoires aiguës, vont la traverser et se retrouver en plus grandes quantités dans le sang, augmentant l’inflammation à distance (dans le foie, les muscles…). Si l’on favorise les bactéries protectrices de la barrière intestinale, on pourrait diminuer cette migration ainsi que la sévérité des symptômes. »
Influence dans l’obésité…
Une expérience parue dans une grande revue scientifique montre que le type de bactéries peut aussi influencer l’obésité. Le contenu en bactéries des selles de 169 personnes obèses et de 123 non-obèses a été analysé; la présence en moindres quantités de 8 types de bactéries a été associée à un plus grand risque d’obésité. Mais cela ne signifie pas que c’en est la cause… Bien que… Dans une autre étude, des chercheurs ont colonisé l’intestin de souris sans germe (intestin stérile) ayant un poids normal avec un microbiote de souris obèses; et bien ces souris de poids normal sont devenues obèses…
Et dans les troubles neurologiques?
Ce qui semble plus interpellant encore, c’est le lien qui est établi avec le type de bactéries présentes dans notre intestin et certains troubles neurologiques ou psychiatriques. Notre flore intestinale interagit donc avec notre cerveau. « Lorsque l’on modifie le microbiote par des prébiotiques, on constate qu’on mange moins. Le microbiote peut donc réguler l’appétit ! L’intestin produit en effet des hormones (ghréline, PYY,…) qui donnent au cerveau l’ordre de manger plus ou moins. »
Une autre expérience a démontré une relation avec le stress et la dépression sur des rongeurs. « Des souris qui avaient une flore intestinale inexistante (intestin stérile) se montraient exploratrices, visitant allègrement leur cage; quand on leur a colonisé l’intestin avec un microbiote de souris stressées, elles se sont montrées moins volontaires… Le même type d’expérience a été mené avec le microbiote de souris agressives, avec le même effet : les souris initialement ‘vierges’ sont ensuite devenues plus agressives… Cela montre qu’il existe un relai de neurotransmetteurs (sérotonine…) impliqués dans l’humeur entre le microbiote et le cerveau… En matière d’autisme, aussi, une piste propose de relier certains comportements d’enfants autistes à la production de neurotransmetteurs au niveau de l’intestin qui contient par exemple moins de bifidobactéries : s’il y a bien une association, reste à voir s’il y a une causalité… »
Rôle mitigé des prébiotiques et probiotiques
Modifier le microbiote des gens, ne serait-ce pas donc là la solution ? Probablement, mais pas n’importe comment! La règle d’or est de diversifier les bactéries qui colonisent notre intestin en suivant quelques conseils (lire plus loin).
Quant aux compléments en prébiotiques et probiotiques, ils peuvent aider des populations bien ciblées. « L’utilisation de probiotiques en cas de diarrhées (en particulier chez l’enfant) ou de prise d’antibiotiques s’est avéré efficace pour restaurer le microbiote. Donnés à titre préventif à des enfants qui vont en crèche, les probiotiques ont eu pour effet de diminuer les épisodes de diarrhées ainsi que leur durée (24h au lieu de 72h). Ce même constat a été dressé avec la prise de prébiotiques. »
Les probiotiques (de type lactobacilles par exemple) en cas de maladies inflammatoires de l’intestin montrent pour leur part des résultats contradictoires, en fonction de la souche. « Chaque espèce bactérienne possède sa capacité pro-inflammatoire ou anti-inflammatoire… Certaines souches de probiotiques réduisent quelque peu l’inflammation et de là, la douleur ou la durée des crises. »
Et le diabète?
Et pour ce qui concerne l’obésité et le diabète de type 2? « Il y a encore peu d’études. Trois études avec des probiotiques différents (des lactobacilles) ont montré une diminution de la sensibilité à l’insuline et une diminution faible de la masse grasse. Tout au plus les personnes de 85-90 kg ont perdu 2-3 kg… Pour ce qui concerne les prébiotiques, le peu d’études dont nous disposons montrent une légère amélioration de la glycémie, des paramètres inflammatoires, mais ces résultats sont encore à confirmer. Mais l’espoir est là, et je reste assez positif par rapport à ce qui pourrait en ressortir. » Et de conclure que les prébiotiques et probiotiques renforcent la barrière intestinale, dont la perméabilité est à l’origine des principaux problèmes. C’est déjà un bénéfice appréciable.
Le microbiote intestinal est un nouveau champ de recherche très prometteur et les découvertes se succèdent rapidement. Et elles devraient intéresser de nombreuses disciplines médicales, des neurosciences à la cancérologie, en passant par l’étude des maladies cardiovasculaires, la gastroentérologie, l’allergologie, et même la psychiatrie et les dépendances… Mais gardons-nous de lui attribuer tous les maux du monde !
Conseils pour optimaliser sa flore intestinale
– opter pour une alimentation variée et équilibrée.
– privilégier les sources alimentaires, telles que les légumineuses, qui contiennent des glucides fermentescibles (de même que les artichauts, les topinambours, les choux, les bananes…).
– consommer des fruits et légumes !
– prendre des compléments de prébiotiques ou probiotiques, mais dans un cadre contrôlé et avec une alimentation correcte. Il ne s’agit pas de produits miracle…